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Violence dans les stades : les clubs et les supporters ont une responsabilité "sociale ou morale"
Patrick Mignon, sociologue, le mercredi 2 avril 2008
Le Monde.fr | 02.04.2008 à 12h41 • Mis à jour le 02.04.2008 à 13h28
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isla : Comment se fait-il que les fouilles au corps obligatoires à l'entrée ne sont pas efficaces ?
Lip : Je croyais que les spectateurs étaient fouillés avant d'entrer dans un stade de foot... Comment une banderole de plusieurs mètres a-t-elle pu passer inaperçue ?
Patrick Mignon : Les fouilles existent, bien sûr. Il y a différents types de fouilles, certaines plus efficaces que d'autres. D'après ce que j'ai entendu, il semble qu'on ait plutôt pratiqué des fouilles assez rapides qui ne permettaient pas de trouver tout ce qu'on pouvait penser trouver sur les personnes. Il faut penser aussi qu'il y a des flux de spectateurs, et que les fouilles ne sont donc pas faciles à faire, parce qu'il faut aller vite.
Ensuite, la banderole était grande, mais était découpée en petits morceaux. C'est une technique très fréquente quand on veut introduire des objets ou des banderoles. On reconstitue les objets dans le stade.
isla : Qui est responsable de la sécurité dans le stade ? Les organisateurs (Ligue professionnelle de football) ? La police ?
Patrick Mignon : Les organisateurs ont la responsabilité de la sécurité, mais en même temps, les fouilles sont aussi pratiquées par la police, car c'est elle qui est habilitée à le faire quand elles sont approfondies. On a toujours dans ce cas affaire à différentes responsabilités.
doo : Dans l'histoire de la banderole, qui faut-il sanctionner selon vous ? Des individus ? Des associations de supporteurs (les Boulogne Boys, comme le réclame notre ministre de l'intérieur) ? Ou le PSG ? Les organisateurs (police et Ligue professionnelle de football) ?
Patrick Mignon : Qu'est-ce qu'on entend par responsabilité ? Une responsabilité pénale ou sociale ou morale, voire responsabilité civile ?
Cherche-t-on un coupable ? Le coupable a-t-il commis un délit ? Est-ce un coupable civil, car dans toute organisation d'événement, il y a une responsabilité civile. Dans ce cas, ce serait les organisateurs. Est-ce une responsabilité sociale ou morale, auquel cas le club peut être considéré responsable de ses supporteurs.
Rav : Je fréquente souvent les grands stades de foot, et je sais que les fouilleurs sont des "proches" des groupes de supporteurs perturbateurs...
Patrick Mignon : Dans les fouilles comme au Stade de France, c'est la police qui les fait. Votre question pourrait effectivement être posée dans certains cas où l'on confie les fouilles à des sociétés privées. Il peut dans ce cas y avoir des liens d'amitié, de proximité avec certains supporteurs.
isla : J'aimerais savoir ce qui, selon vous, motive réellement les supporteurs pour afficher une banderole aussi haineuse. Qu'ont-ils à y gagner ?
Patrick Mignon : On va replacer les événements de samedi dans un contexte un peu plus général. Le contexte est celui d'une rencontre entre deux clubs de football professionnels. Ces clubs, depuis une vingtaine d'années, sont accompagnés par des supporteurs ultras.
Ces supporteurs ultras sont en compétition les uns avec les autres, et cette compétition se traduit notamment par la confection de banderoles qui sont soit à la gloire de son club, soit sont des attaques contre le club adverse. Et dans ce cas, la banderole de samedi s'inscrit dans la continuité des banderoles à caractère injurieux destinées aux supporteurs ultras d'en face.
Ce que cherchent dans ce cas-là les supporteurs, c'est, comme dans tout défi, à mettre plus bas que terre les adversaires, à trouver les formules chocs les plus dures pour sortir triomphants de ce défi entre supporteurs.
Si l'on faisait l'histoire des banderoles dans les matchs qui opposent Paris à Marseille, Lyon à Saint-Etienne, Lens à Lille, Metz à Nancy ou à Strasbourg, on aurait de belles collections de banderoles avec des traits assez semblables à ceux qu'on a pu voir samedi.
Le problème de cette rencontre, c'est qu'elle était télévisée, donc elle a été vue par des gens qui sont soit des téléspectateurs, soit les spectateurs du stade, qui ne sont pas habitués à ce type de configuration.
Maintenant, il y a un autre point qu'il faut ajouter : les supporteurs ultras peuvent s'adresser aux autres supporteurs ultras, mais dans certaines conditions, ils peuvent aussi s'adresser à l'ensemble des spectateurs du stade ou des téléspectateurs.
Donc ce qu'on recherche dans ces cas-là, dans la banderole, c'est, en provoquant, à se définir comme étant des supporteurs radicaux, indépendants, imperméables à tous les mouvements d'opinion. C'est aussi ce qui s'est passé samedi : dans la partie du Stade de France qui était occupée par les habitués de la tribune Boulogne, se trouvent les éléments qui veulent se définir comme étant en opposition radicale aussi bien avec le monde du football, les autres spectateurs, et les autres supporteurs du PSG, à savoir la tribune Auteuil.
Beep : Les auteurs de la banderole sont-ils, selon vous, des ultras ou des indépendants ?
Patrick Mignon : On peut penser dans un premier temps que ce sont plutôt ce qu'on appelle les indépendants. Les indépendants, ce sont parmi les supporteurs ceux qui ne sont pas organisés en association, parce qu'ils estiment que les associations sont complices du club ou de la police ou de la Ligue de football. Et parce qu'ils cherchent à développer des actions plus en rupture avec la loi : violence, bagarres, etc. On peut penser que le style provocant de la banderole est très marqué par cet esprit dit indépendant.
Mais en même temps, on voit que cette banderole a été placée sur la banderole qui identifiait les Boulogne boys, et on voit mal comment, dans le climat des tribunes, on puisse mettre une banderole sur une autre sans qu'il y ait quelque part une sorte d'accord, de compromis. Donc du coup, on peut penser que cette banderole a été déployée sans doute par des indépendants, mais avec une "autorisation" d'une association reconnue, comme par exemple le sont les Boulogne boys.
Bree : Faut-il sanctionner financièrement les clubs de supporteurs comme les Boulogne Boys, voire en dissoudre certains ?
Patrick Mignon : Il y a plusieurs éléments. Une première question, c'est de savoir quelle est la nature du délit. S'il y a bagarre et violence, il y a un délit caractérisé : coups et blessures. S'il y a en plus de cette bagarre attaque contre une personne noire ou étrangère, on peut caractériser ce délit comme étant plus un délit raciste. Si c'est par exemple une banderole qui contient des propos explicitement dégradants pour une catégorie raciale particulière, c'est aussi un délit connu et repéré.
Dans le cas de la banderole de samedi, comment caractériser le délit pour que son contenu soit puni par la loi ? Du coup, va-t-on se dire : c'est effectivement proche de l'incitation à la haine raciale ? Est-ce simplement parce que c'est profondément injurieux ? Donc quelles sont les punitions ?
Maintenant, qui punit-on dans l'affaire et comment, c'est un autre problème. Parce qu'il faut prouver que ce sont tels individus qui ont commis l'acte, il faudrait prouver que par exemple une association est responsable de l'acte, et ensuite, il faudrait trouver la sanction adaptée.
En Angleterre, le problème ne se pose pas de cette manière-là. En Angleterre, on a globalement créé un délit qui est le délit d'offense ("offence") et qui tient à l'expression de tout ce qui peut avoir un caractère offensant et injurieux. On dit aussi en anglais "abusive", on voit ce que cela veut dire : c'est exagéré et ça cherche à provoquer la dégradation de quelqu'un. Ce délit a été créé, ce qui fait que du coup il y a des amendes, des interdictions de stade.
En Angleterre, l'association de supporteurs comme on la connaît en France n'existait pas à l'époque des lois qui ont été mises en place. En gros, les hooligans anglais étaient proches dans leur fonctionnement de ceux qu'on appelle les indépendants. On n'a donc pas dissous d'association, on a simplement fait une liste de personnes qui se voyaient interdire l'accès aux stades parce qu'elles avaient un casier judiciaire lié aux activités de hooligans.
Ling : L'interdiction de stade ne paraît pas être une arme très utilisée par les autorités françaises par rapport aux Anglais.... Pourquoi ? Est-ce une bonne solution d'essayer d'allonger le délai d'interdiction de 3 mois à 1 an comme le réclame le secrétaire d'Etat aux sports ?
Patrick Mignon : Il y a deux types d'interdiction de stade : l'interdiction judiciaire, prononcée par un juge, et l'interdiction administrative. L'interdiction judiciaire peut être beaucoup plus longue, plusieurs années. Le problème, c'est qu'elle suppose une procédure judiciaire dans laquelle on a des preuves pour juger un individu et déterminer, à travers la décision de justice, le fait que cette personne ne pourra plus entrer dans un stade pendant plusieurs années.
La décision administrative est plutôt préventive. Elle vise à éloigner des stades les personnes considérées comme étant dangereuses. Mais pour cette raison, elle est de courte durée, car non fondée sur une enquête, une accumulation de preuves.
La solution serait donc plus dans la multiplication des interdictions judiciaires, car elles sont fondées sur une procédure légale, celle de la justice en France, alors que la décision administrative est plus fragile au regard de la légalité.
En même temps, il y a aussi une chose à ajouter : vraisemblablement, même sur le plan des mesures administratives, il y a des difficultés qui tiennent à la coopération, l'entente entre les différents services de police qui peuvent être amené
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